Sur la peinture et la poésie chinoise en général et les vers parallèles en particulier:
Les vers parallèles (Duilians) ont une place importante dans la poésie chinoise :
" Voix des oiseaux rassemblés dans le vieux monastère
Ombres des oiseaux passant sur le froid vivier"
(Du Fu)
Les correspondances syntactiques sont rigoureusement observées d’une ligne à l’autre, faisant de chacun des deux vers un strict équivalent de l’autre (grammaticalement identiques); de plus le
parallélisme nous permet de lire ces vers en long mais aussi en large. Contrairement au mode discursif qui va de l’avant et se déploie dans le temps le mode parallèle suspend l’écoulement
temporel, les deux images sont à la fois indépendantes et liées. La poésie chinoise se déroule dans le temps et l’espace comme sa peinture ; peinture, calligraphie et poésie sont intimement
liées. Ce principe se manifeste par le courant d'indétermination qui traverse le texte, comme les brumes traversent les paysages chinois ; les Chinois anciens évitaient les représentations
humaines, confiant au paysage la tâche de signifier leur monde intérieur.
Les ressources picturales de l'écriture chinoise dispensent le poète de descriptions verbeuses: il n’explique ni ne raconte (il
fait directement voir et sentir) et ce qu’il offre au lecteur n’est pas une description mais une impression ( Par tradition aussi, dans la Chine ancienne, l'homme exprimait ses sentiments par la voix de la femme (lire les poèmes de Li Po*)).
La peinture idéale n’est
pas achevée sur le papier mais dans l’esprit de celui qui la contemple. Nous touchons ici à la question de la valeur active du vide : il s’agit non seulement des blancs de la peinture mais
aussi de l’au-delà des mots du poème.
On pense, bien sûr, au similitude et à la filiation avec le haïku qui développe un langage laissant opérer le Vide sans pour autant perdre l'intelligibilité, la fluidité, la lisibilité du
texte .
Sur les « Vertus du vide » dans la peinture et la poésie chinoise, voir l’article « Arts et lettres » dans « La forêt en feu » de l’excellent Simon Leys.
la froideur des serveurs de l'hôtel de luxe
la chaleur des vendeurs du marché aux puces
Un jour si sombre, on voit parfois encore la nuit
Une nuit si longue, on voit presque déjà l'ennui
la jeune fille sage
les yeux baissés sur ses seins
Le plan panoramique correspond à la peinture "dispersée" chinoise qui tend à figurer le paysage tel qu'on le voit en
marchant, en opposition à la perspective en ligne de fuite occidentale qui vise à reproduire une image totale et donc statique et subjective du paysage. Le point de vue panoramique permet
d'intégrer le foisonnement des "voies" (Dao) dans un ensemble cohérent et sans exclusive...
* "...Nuit après nuit,
je suis seule.
La bougie rouge,
dans son bougeoir d'argent,
elle aussi, laisse couler
des larmes sans fin.
Nuit après nuit,
je laisse libre ta place
sous la couverture,
dans l'espoir
que durant mon rêve
tu te glisse
auprès de moi."
Li Po