Les trente
trois délices de Jin Shengtan…
Pour le partage, pour le plaisir, quelques délices :
Ouvrir la fenêtre et laisser une guêpe sortir de la pièce. Ah, quel
délice !
Les enfants de la maison récitent leur leçon, et leur psalmodie coule comme eau de source. Ah, quel délice !
En été aux champs, nu tête, et nu pieds, abrité sous mon parasol, je regarde des gars qui actionnent une pompe d’irrigation en chantant des chansons de Suzhou. L’eau se déverse en cascade, on
dirait une coulée d’argent en fusion, ou un tourbillon de neige. Ah, quel délice !
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Couper avec un couteau effilé un melon vert pâle sur un grand plat écarlate par
une après-midi d'été. Ah, quel délice !
Trouver accidentellement une lettre d'un vieil ami dans un
coffre. Ah, quel délice !
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Buvant du vin par une nuit d’hiver, je sens un froid soudain. Repoussant le volet, je
regarde au dehors : la neige tombe en flocons grands comme la main ; le sol en est déjà recouvert d’une couche de trois ou quatre pouces. Ah, quel délice !
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Un lettré pauvre vient pour m’emprunter de l’argent, mais il ne sait comment aborder le sujet, et tourne longuement autour du pot. Percevant son embarras, je l’entraine à l’écart et lui
demande : « Combien voulez vous ? » Je lui compte prestement la somme requise, puis je lui propose : « Vous aurez bien encore un moment pour prendre une
coupe de vin avec moi ? Ah, quel délice !
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Regarder quelqu’un qui trace d’énormes caractères de calligraphie. Ah, quel délice !
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Ouvrir la fenêtre pour laisser échapper une abeille. Ah, quel délice !
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Voir le cerf volant de quelqu’un d’autre qui casse son amarre. Ah, quel délice !
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Regarder un feu de forêt. Ah, quel délice !
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Avoir fini de payer toutes ses dettes. Ah, quel délice !
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Traduction de Simon Leys
(Ah, quel délice ! d’autres traduisent par : Ah, n'est-ce pas là le bonheur ?)