Voler...
HaÏbun
Fin de la première journée de printemps : il fait merveilleux. Revenant de la mer je longe seul, lentement, en voiture, l’étang du Ponant de Palavas-les- Flots… à la radio : « Hotel California »…
Soudain surgissent deux flamants (roses !), très proches, volant près de l’eau, dans le même sens et la même vitesse que moi : ils m’accompagnent un instant le long de la route… derrière eux, le soleil couchant… dehors : l’air marin… dedans : l’air malin avec ma chair de poule et mes yeux mouillés… une sorte de satori (de grâce !?), simple, inattendu, presque trop violent pour si peu de choses…
Le temps, hélas, ne s’arrête pas…
Retour dans les embouteillages de Montpellier… Tout le temps pour repenser à ces sensations : comment reproduire l’image que la nature imprime en nous dans ces instants extraordinaires, comment traduire tout cela en trois petites lignes alors que j’y parviens si mal en beaucoup plus… Comment combattre la frustration de sentir se dérober la poésie de l’émotion éprouvée à cet instant… Des tercets dérisoires se forment, tantôt simples, tantôt compliqués, toujours impuissants à recréer ces sensations…
ébloui
sur l’étang au soleil
un vol de flamants
l’autoradio
nostalgie à fond…
soleils flamants
enflammant l’étang
le soleil et les flamants
monde flottant
un vol de flamants
relie ciel et eau
couleur d’un soir
chercher à la revoir
dans le rétroviseur
au couchant
les soleils sur l’étang
volent les flamants
Au soleil couchant
Aux flamants et à l’étang roses…
Merci
un instant
on oublie le noir...
vol de flamants
embouteillage
transvaser lentement
le moment donné
flamants sur l’étang
le rose et noir d’une odeur
féminine
Je pense à ce travers très répandu de vouloir tout photographier pour capturer, (au détriment bien souvent de l’appréciation « sur le vif »!), comme si l’authentification par la photo était plus forte que sa propre impression (le souvenir étant souvent plus beau que la réalité !). Et puis, pourquoi vouloir à tout prix recréer, retrouver ses impressions ? Un peu pour les autres, pour partager, revivre avec… (Je repense au premier haïku qui m’a touché et fait aimer cette poésie :
Oh ! Une luciole
je voulais crier : « Regarde ! »
mais j’étais seul
Taïgi)
Beaucoup pour soi : un besoin d’auto analyse (un peu comme Breton avec ses tournesols dans L’Amour fou), d'une nouvelle illumination, un désir de trouver les causes profondes et inexplicables de l’émotion, de percevoir l’influence du déjà vécu avec l’instant présent et la coïncidence parfaite d’éléments indépendants se rejoignant, de dépasser la distinction illusoire entre le subjectif et l’objectif…
Ouf !! C’est sûrement plus simple !
Les flamants naturellement ne se posent pas toutes ces questions… ils sont les réponses.
Alors, pourquoi faire des haïkus ?
Pour presque rien, pour s’alléger, pour le plaisir d’écrire, pour flirter en amoureux avec ce qu’on appelle la poésie… Bref, pour vivre… survivre et parfois voler.
André Cayrel
(Texte déjà publié dans la revue 575 )